Insatiablement le jour commence. Insatiablement le jour finit. C’est toujours l’heure d’apprendre à lire. Apprenons à lire aujourd’hui dans un manuel du cours élémentaire de 1975 :
Entre des poèmes de Desnos et Prévert, le jeune Rémy Dumont – sept ans et quatre mois – partage avec nous son horrible quotidien, que les auteurs ont semés d’exercices cruels où papa travaille :
Tout commence par un déménagement. Les Dumont quittent leur petite maison de la rue du Vieux Moulin pour un grand immeuble avec une pelouse interdite aux enfants. Par la fenêtre de sa chambre, Rémy voit « les immeubles neufs, les larges avenues, le boulevard, les autos et les camions qui roulent en files ininterrompues, et même, au loin, les quatre voies de l’autoroute. » A l’école, son institutrice, une certaine Annie Martin, le nomme responsable de l’atelier de peinture. Le petit garçon se réfugie dans l’art, mais on sent que le cœur n’y est pas : « Puisque le temps est gris et triste, je vais mettre sur mon dessin toutes les couleurs de l’été ».
En allant faire les commissions, il achète un paquet de coquillettes à la place de la levure. Il s’aperçoit, la nuit, de ce qu’il n’a pas besoin de consulter une montre pour connaître l’heure : les voitures démarrent à vingt heures, reviennent à minuit. On entend des portières. Plus tard, des jeunes bavardent sous les fenêtres. Les avions font trembler les vitres. A quatre heures du matin les ouvriers se rendent à l’usine en vélomoteur. Le camion poubelle passe à cinq, puis c’est la douche et le transistor du voisin. Ce n’est que lorsqu’il est malade que tout ce bruit le fatigue vraiment.
L’hiver commence. Au supermarché, le prix de la tablette de chocolat a encore augmenté. Heureusement que maman a trouvé facilement une place sur le parking où « des centaines de voitures sont déjà alignées ». On offre un tour de cheval mécanique à la sœur de Rémy, « mais, près d’elle, un petit garçon à la peau brune la regarde avec envie : c’est bien cher un tour sur le cheval mécanique. »
A l’école, il faut encore apprendre le début de l’alphabet jusqu’à la lettre f :
Pendant les vacances, il passe une semaine revigorante chez son Pépé, qui lui a laissé un coin de potager pour lui tout seul. Hélas ! Les laitues sont dévorées par de fourbes escargots !
A l’école, on poursuit l’alphabet jusqu’au k
A partir de cet instant, Rémy se réfugie dans les belles histoires. Le chevalier Thierry revient de la Croisade. Sa dame l’interpelle depuis une haute tour ; il ne peut encore monter la retrouver pour contempler les étoiles, car on vient de lui apprendre la mort de son père.
C’est aussi bien de réviser l’alphabet
La fin de l’année approche. On commence à classer les choses par ordre alphabétique. Pour la fête des mamans, Rémy offre à sa mère un pense-bête afin qu’elle puisse écrire la liste des commissions.
Les dernières pages sont l’évocation des prochaines vacances d’été. Sur la plage, Rémy s’amuse avec Régis, un camarade. « Va chercher ton matelas pneumatique, dit Régis. Nous nous allongerons dessus, l’un après l’autre, comme sur un radeau ».
L’enfant est à présent assez mûr pour classer les mots de cette phrase, qui figure dans le paragraphe 4, par ordre alphabétique.
La semaine prochaine : Le paysan, par Louis Barjon, dans la collection « Nos beaux métiers par les textes », X. Mappus éditeur, Le Puy.