On me demande souvent l’heure et rarement la cause de mon érudition. Je prends le temps aujourd’hui de réparer cet oubli.
Enfant, j’étais ce bambin joyeux que tout le monde imagine, et dont a dit quelque part : « qu’il est mignon ! » Constatation sans complaisance que ni les obstacles de l’existence, ni une calvitie naissante (davantage principe de beauté que marque du temps qui passe) n’ont su contredire. Je n’étais pas seulement mignon, j’étais aussi passionné par les arts, la littérature, le football, les échecs, l’alpinisme, les mouches et le sorbet à la framboise. Bref, tout.
Quoi d’étonnant que mes livres de chevet fussent, à la différence des autres petits enfants, les ouvrages les plus à même de nourrir un gaillard de quatre ans avide qu’on lui inculquât ce que l’humanité mainte fois millénaire avait accumulé de science ou de poésie, et que le hasard d’une porte d’armoire entrebâillée dans le manoir familial vient de faire surgir à mes yeux perlés d’émotion ?
Pour celles et ceux que ça intéresse, il est 13h22. Ouvrons un tome au hasard de l’Encyclopaedia Universalis. Tiens, le 14, par exemple. Il va de Pascoli à Powys. Je ne vous fais pas l’injure de vous expliquer qui est Pascoli et comment Powys a découvert le verre à moutarde.
J’avais lu ce tome un soir que j’étais mélancolique et je l’avais dévoré d’une traite. Le petit matin m’avait trouvé ragaillardi. J’avais l’âme emplie des plus vastes sujets. Par quel grâce enfantine demeurèrent-vous gravés dans mon esprit depuis cette nuit-là ? Ô Patagons, pêche, Pérotin, phagocytose, phéniciens, plain-chant, poissons, polyzoaires, Porto Rico (et toutes les autres choses comprises entre Pascoli et Powys), vous ne m’avez plus jamais quitté.
Un des chapitres, qui m’avait particulièrement marqué, était consacré au Permien, un truc dont les limites sont discutées :
Plus tard, j’ai moi aussi écrit des livres, et je tiens absolument à préciser, quoiqu’en dise la critique, que je ne suis pas au nombre des auteurs qui réunissent le Sakmarien, l’Artinskien et le Kungurien dans le Permien inférieur. Ça me dégouterait, tiens. Murchison, Eléouet et Karpinsky sont de la vieille école.
Côté poissons, l’Encyclopaedia Universalis dévoile certains secrets industriels parmi les mieux gardés de la filière pêche :
Chaque chapitre de l’encyclopédie commence par un sommaire qui permet au lecteur de se mettre en appétit :
Combien en ai-je lui, de ces fameux chapitres, au cours de ma jeunesse ! Si j’avais du cœur à l’ouvrage et que l’heure de ma séance d’haltérophilie journalière n’approchait pas si vite, je m’épancherai longuement sur le tome 5 et le tome 22 qui, ça me revient à présent, sont les plus rigolos. Parmi tous les livres pour enfants, il n’en est pas que je recommande avec davantage de vigueur.
Mais, hélas ! Voici déjà le moment venu de refermer, à peine entrouverte, la porte de l’armoire aux souvenirs !
La semaine prochaine : Testez votre intelligence, par Pierre Berloquin, le Livre de Poche.