Because la lune avait des reflets d’or, Sven l’étrangleur se perdit dans sa contemplation.
– Que c’est joli, murmura-t-il.
Il serra machinalement le cou d’un dernier type et songea qu’on était bien peu de choses. Autour de lui les cadavres de ses ennemis jonchaient le sol. Sven ramassa du petit bois afin de se préparer une infusion.
La perspective d’une nuit à la belle étoile n’était pas pour lui déplaire. Il sirotait sa tasse, enveloppé dans son manteau de fourrure. Le feu crépitait. On entendait dans la forêt gémir les âmes des malheureux qu’il avait étranglé.
Il serra le cou d’un dernier type
Sven aimait son métier. Mais depuis quelque temps, ses articulations le faisaient souffrir. Il examina ses mains pendant quelques minutes. Hélas ! Il faudrait bientôt oublier cette vie d’aventures pour une retraite paisible à la campagne. Encore une ou deux années consacrées à conquérir un royaume ou étrangler des dragons, et tout serait fini. Il avait bien vécu. Son cousin Harald avait eu moins de chance. A cause d’une mauvaise orientation après le collège, il était devenu fermier. Harald-l’étrangleur-de-poulets. Sven sourit. Non, décidément, il n’était pas à plaindre. Si c’était à refaire, il ne changerait rien. Sauf peut-être…
L’étrangleur soupira. Fugitive, l’image de Vera venait de lui traverser l’esprit. Il avait aimé cette princesse. Amour payé de retour. Avant de se résoudre à l’étrangler, ils avaient connu trois semaines de bonheur intense. Mais il travaillait à l’époque pour Sigurd le ténébreux… Sven sentit ses yeux s’humecter. Il s’enveloppa davantage encore dans son manteau. La nuit était fraiche. L’existence difficile. Il s’étendit auprès du foyer, lissa sa moustache pour en extraire un pou, qu’il étrangla, puis ferma lentement les yeux.
« Un contrat est un contrat », aimait à répéter Sigurd le ténébreux
Un ronflement sonore ne tarda pas à retentir dans la clairière. Quelques animaux nocturnes, intrigués, s’arrêtèrent un instant pour examiner le dormeur. Une chouette le dévisagea de ses yeux ronds. Mais le spectacle manquait de variété. Elle aperçut un mulot et s’en désintéressa.
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Les lecteurs les plus perspicaces auront noté que l’histoire merveilleuse développée ci-dessus n’a que peu de rapport avec la critique littéraire du Rire de Bergson, et, peut-être, qu’elle ne présente pas le moindre intérêt. Soit. Mais laissez-moi vous dire une chose : si vous pensez qu’il est possible de connaître le contenu d’un livre de philosophie uniquement en regardant sa couverture, vous vous mettez le doigt dans l’œil. Je le sais. Je l’ai vérifié à mes dépens cette semaine. Alors je suis déjà bien bon, contraint par le temps, de vous donner un aperçu bucolique de l’existence de Sven l’étrangleur quelque années avant la fin de sa carrière – illustré qui plus est – sans devoir en plus écouter ce genre de remarques. Sans blagues.
Vendredi prochain : Le rire, de Bergson.