Lettre 27 Gaspard à Camille

Gaspard Bromzières à Camille de Riveblême

Mon cher Camille,


Le mariage ? Quand bien même elle ne me l’aurait pas proposé, j’aurais dit oui. Car lorsque j’étais sous l’emprise de ses narcotiques (qui ne se présentaient jamais à moi comme tels, mais toujours sous les auspices d’un fruit dodu ou d’un cocktail rubicond, qu’elle confectionnait à partir de fruits semblables à la grenade, délices parfaitement dosés, parfaitement toxiques, à forte charge stupéfiante, éminemment désirables, mais parfaitement acceptables, enrobés dans leur fruit, encapsulés dans leur verre perlé de sucre et planté d’une paille, poisons complètement maquillés, tendus avec douceur, politesse et même poésie, d’un bras alangui à la peau halée et parfumée : « tenez Gaspard, voici du vin de palme », « goûtez voir ce loukoum, mon Gaspard, il a a mollesse de la chair et le parfum des roses », « Croquez donc, Gaspard, la pulpe est aussi fraîche qu’une cascade de source » – moi mordant, buvant, ingérant sans jamais retenir la leçon de la veille – Oh Camille, je n’étais plus que soif, faim, éponge à tout), lorsque j’étais, disais-je, ainsi intoxiqué, figurez-vous que j’abdiquais toute volonté, toute analyse, et la lecture de ma situation se bornait à celle des couleurs, des impressions, des effets de lumière parcourant les plafonds feuillus, à la chaleur de ma main caressant le tissu de ma couche, ou la peau électrique d’Antanea lorsqu’elle me rejoignait. Oui, j’étais devenu une proie, c’est à dire un mari. Et mon horizon, jadis élastique, s’était rétréci aux dimensions de ma nacelle. J’étais, Camille, pris dans une toile, certes multicolore et polysensorielle, mais une toile tout de même, où m’emmaillotais davantage à chaque fois que je me tournais sur ma couche, à chaque passage d’Antanea, à chaque renoncement. On apprend, pris dans la toile, qu’il n’y a pas de petite abdication.

Car le mariage, elle me le proposa, ce que je vous raconterai la prochaine fois (et vous verrez ainsi comment je ne dus mon salut qu’à un fil – ce qui n’est guère étonnant puisque je viens, en guise de métaphore, de tirer celui de la toile d’araignée – on ne se dépatouille que de ce qui nous entortille).

Vous me parlez d’Adeline Bréviaire de la F., à qui, maintenant que vous me le dites, j’ai toujours trouvé une tête de nuage : elle était bien jolie et, n’eût été sa passion coupable pour le thé, qui n’est pas le moindre des narcotiques, elle aurait peut-être eu l’idée de vous garder près d’elle. Mais la vie est ainsi faite, Camille, qu’un voyage naît souvent d’un regret, ou d’un remord.

Je vous dirai tout bientôt,

Votre Gaspard