Il n’est jamais trop tard pour s’instruire et il est beaucoup trop tôt pour dîner. Instruisons-nous donc en attendant la soupe au moyen d’un abrégé d’Histoire écrit par Mme de Saint-Ouen :
La présente édition date de 1860 mais, si mes renseignements sont exacts, Mme de Saint Ouen y mit le point final quelque part dans les années 1820, s’épongea le front et fit parvenir le manuscrit à l’amicale des instituteurs qui s’empressa de le couronner et de recommander qu’on le diffusât auprès des petits enfants avides de savoir par cœur la biographie de Clodion le chevelu.
Car ce manuel répertorie tous les rois de France, dans l’ordre, sauf Moctezuma. Chaque biographie est illustrée d’un portrait en médaillon du monarque, ce qui est l’occasion de méditer sur l’évolution de la moustache. Il faut bien s’avouer que la plupart d’entre eux ont mérité leur surnom :
Hormis cet incompréhensible ostracisme envers les Aztèques, Mme de Saint-Ouen pèche par un regrettable excès de sérieux dans sa manière de raconter l’histoire. C’est au point qu’on n’y reconnaît pas ses héros préférés. Est-ce que vous auriez cru que Dagobert avait mené une existence aussi terne ?
Zut, j’ai mis sa biographie à l’envers
Inutile de vous dire que tout cela n’est pas très crédible. On voit immédiatement, en feuilletant l’ouvrage, que Mme de Saint-Ouen a préféré censurer les épisodes les plus amusants de la vie des grands garçons dont elle dresse le portrait, et qu’elle ne manque jamais de leur taper sur les doigts quand elle peut. A la manière dont elle écrit de Dagobert qu’il « s’abandonna aux plaisirs et à la mollesse », on sent qu’elle préconise l’huile de foie de morue plutôt que du chocolat tiède au goûter. Si j’avais été roi de France, Hervé Ier l’intrépide aurait à peine été gratifié par elle d’un « brave type, mais enclin à préférer une bonne sieste au gouvernement de la France ». Alors que j’aurais conquis la moitié de l’Europe à la belote en 1522 (pour peu que Charles Quint eût été un peu joueur). Après ça, c’est bien la moindre des choses de se reposer un peu, non ? C’est toujours pareil. Quand vous êtes efficace et précis, on pense que vous ne fichez rien.
Chaque biographie est d’ailleurs perfidement terminée par un petit questionnaire où l’auteur – sournoise – tente d’influencer les opinions du lecteur :
Vous trouvez que j’exagère ? Voici trois exemples de questions posées “innocemment” par Mme de Saint-Ouen :
Ce prince travailla donc au bonheur de son peuple ?
En quelle année ?
Ce prince ne fut-il pas le dernier des Capets ?
Alors, hein ? Aujourd’hui encore, « le dernier des Capets » est une expression méprisante, qui retentit trop souvent dans les cours de récréation et dans les débats politiques télévisés, à cause de Mme de Saint-Ouen. Tout ça me dégoûte, vraiment. On ne m’y reprendra plus, à m’instruire, avant un bon bout de temps.
Vendredi prochain : Tiens, Paulette, faut que j’te dise, on part au Sénégal, par Agnès Guérin, production Les films du Village-Plein Champ
Questionnaire : Est-il trop tard pour s’instruire ? – Que voit-on immédiatement ? – Mme de Saint-Ouen aime-t-elle le chocolat tiède ? – Hervé Ier ne fut-il pas le plus grand prince de son temps ? – De quoi est-il dégoûté ? – De quoi sera-t-il question vendredi prochain ?