Dimanche

Dimanche a de grands yeux. C’est un jour de la semaine qui vient du latin. On s’y promène en sortant son chien ou en marchant au bord de la mer, qui rugit d’une voix semblable à l’éternité. Les amoureux se tiennent par la main. Ils ont peur d’être emportés par les flots. Même à marée basse. C’est la raison pour laquelle ils rentrent chez eux à l’heure du thé, en se serrant l’un contre l’autre, et préparent le repas du soir. Les cyclistes font du vélo. Ils grimpent le Tourmalet. Ils gagnent le Tour de France ou la Vuelta, à soixante ans sur une selle qui grince. On les double en voiture quand on se rend chez sa grand-mère, le dimanche matin, à temps pour l’apéritif. Il s’agit d’un verre d’alcool dans une salle à manger, sous le regard de toute la famille. Dehors la campagne fume et le soleil tout rond sèche les allées de gravier. Les villes sont éteintes. On sent l’odeur d’un plat sous une fenêtre, on entend le bruit de la télévision et les gens seuls sont seuls derrière des rideaux.

Dimanche après-midi commence en s’engouffrant dans la rue. On évite un homme sur le pas de sa porte. On suit un couple qui marche devant soi. La plupart des immeubles ont l’air d’immeubles. Quelques nuages prennent la forme des choses. A l’instant de plonger dans Recouvrance, on découvre d’un coup tout un pan lumineux de la colline. Plus bas, le pont franchit la rivière. C’est sa vocation. Il permet aux piétons de contempler le monde au-dessus d’un fleuve. C’est semé de bateaux militaires. On devine que l’humanité flotte tristement sur l’eau. La rue de Siam est orientée de bas en haut, ce qui permet de la gravir afin de déboucher bien avant 15h sur la place de la Liberté, qui s’appelle ainsi parce qu’elle est entourée de restaurants dans une grande ville. Une foule déjà s’y tient, debout ou bien assise sur des marches d’escalier, dont un monsieur qui est entré dans la marine en 63 et des enfants. On y évoque le téléphérique avant de se taire et de rendre hommage à des gens assassinés. Des applaudissements crépitent, comme une averse de grêle en mars ou comme la pluie sur Brest, par grains, tout le long d’un cortège qui est immense. Quelqu’un pense que les appartements dans la rue Jean Jaurès doivent coûter cher. Il souffle un petit vent qui refroidit les joues. On ne parle pas trop fort.

C’est la raison pour laquelle je ne peux pas tout rapporter. Il était question de galettes pour le soir et du comportement d’untel. En somme, de tout ce qui mène lentement à la philosophie, avec la consultation de l’horoscope et du dictionnaire, les paysages qu’on découvre, un bon roman et la grâce d’une pie. On comprend par ces choses délicates que vivre est une histoire. On compte sur ses doigts. On cache des dents de lait sous un oreiller. On apprend la théorie de la relativité restreinte. On écoute une chanson en dansant tout seul dans un appartement. On rit de Dieu comme on s’amuse d’un rien.

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Une réponse à Dimanche

  1. Anne Jullien dit :

    une fois encore, c’est superbe ce texte
    chaque fois que je le lis il m’émeut
    s’il existe d’autres endroits où dire et écrire que ce texte est beau, dites-le moi

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