« Nos beaux métiers sont rarement exaltés par la littérature », me disait l’autre jour un partenaire de plongée alors que, revenus d’une expédition dans la fosse des Mariannes, nous ôtions nos scaphandres.
« Sapristi ! » vitupérai-je. Ignores-tu que Louis Barjon initia en 1941 par un volume consacré au paysan (et un peu à la paysanne aussi) une collection intitulée justement « Nos beaux métiers par les textes » ?
Cet ami l’ignorait. On plonge dans des abysses avec des gens, et puis on se rend compte un jour qu’au fond, en surface, on ne partage pas grand-chose avec eux. Je m’empressais donc d’instruire ce fidèle compagnon avant même de me sécher les cheveux (j’avais une fuite dans le joint de mon hublot).
L’exemplaire ci-dessus provient des archives de la bibliothèque d’un lycée. Il commence par une préface qu’aucun élève ni professeur ne lut jamais au-delà des premiers paragraphes, parce que les quelques pages suivantes n’ont pas été séparées au moyen d’un coupe-papier.
Chouette.
Rien n’est plus rigolo que de séparer les pages d’un livre avec un couteau. La plupart du temps il s’agit d’un recueil de poésie intitulé Gris souvenir ou Temps imparfait. Avec un peu d’imagination on peut éprouver la sensation d’assassiner le poète.
« Pour que revive le pays, il faut que les Français retrouvent le goût de l’effort et du travail », déclare Louis Barjon, sans pourtant donner de précision sur la saveur en question. (Je soupçonne un truc amer). Le principe de la collection « Nos beaux métiers par les textes » est de mettre le doigt sur ce goût mystérieux à force de lire des extraits d’auteurs qui, s’ils n’ont pas eux-mêmes exercés les métiers en question, n’ont pas manqué de les observer. Comme, en revanche, les personnes qui les exercent, trop fatiguées, n’ont pas eu souvent le temps d’y réfléchir suffisamment pour en saisir l’essence, le monde est bien fait.
Le premier volume est consacré au paysan :
Ce volume est divisé en deux livres : L’éternel paysan et Le paysan français. Chaque livre est découpé en chapitres. Tous les chapitres sont composés de rubriques. Chaque rubrique est surmontée d’un chapeau de l’auteur, tel que celui-ci par exemple :
Éclairage des plantes par un regard paysan ; entête à la rubrique « La vie végétale »
Suivent en vrac des extraits de Charles Péguy, René Bazin, Henri Pourrat etc.
Les rubriques les plus drôles sont : La loi de l’effort, Fatigue, Pauvreté, Plainte et lassitude, Maturité paysanne, L’automne, Le vieillard, L’hiver, La mort, Le métayer, Le maître, Le bel ouvrage, les Grands Enfants, L’amour paysan, Bonheur et soucis et Vérité dernière.
Une citation du maréchal Pétain, qui peut-être ne figure plus dans les rééditions d’après-guerre, est en exergue du deuxième livre. La vérité m’oblige à révéler que j’en parcourus les derniers chapitres d’un œil distrait, le coupe-papier à la main, heureux de constater qu’il y avait de l’ouvrage à séparer des pages dans cette partie de l’anthologie. J’étais une espèce de moissonneur, en somme. Il ne sera peut-être point rare qu’un de mes enfants (j’en ai douze ou quinze) s’achemine vers un sacerdoce de boulangerie :
Mais j’en doute. Cette saloperie de couteau m’est rentrée dans le gras du pouce. Aïe.
Un ami citadin, frappant à ma porte, me prit sous le bras, et nous allâmes, insouciants, à la poissonnerie de plaisance la plus proche parce qu’il voulait s’acheter un poisson rouge. Je n’aurais jamais soupçonné qu’il existait un si grand nombre d’espèces de poissons. Une rapide estimation du volume d’eau contenu dans les océans, comparé à celui des aquariums de la petite boutique, me fit soupçonner qu’il en existait davantage. C’est à ce moment que naquit ma vocation scaphandrière.
La semaine prochaine : Le soldat, par Louis Barjon, dans la collection « Nos beaux métiers par les textes », X. Mappus éditeur, Le Puy.