La recette du gâteau breton

Chouette ! C’est l’été ! Les petits oiseaux chantent, les alligators somnolent au fond des marigots, les abeilles vrombissent dans les champs et du ciel radieux ne tombe d’autre pluie qu’une torpide ondée de rayons solaires en vrac. C’est l’heure de parler du gâteau breton. Le manuscrit que je reproduis ici est une rareté. Il s’agit de la recette du gâteau breton écrite sur un bout de papier par ma mère, pas plus tard qu’il y a deux semaines.

gbrecettedebut Recette du gâteau breton, page 1
H Eléouet, collection particulière

 

Une analyse rapide suffit pour analyser rapidement la chose, et la conclusion s’impose d’elle-même. N’importe quel graphologue vous dira que c’est un gâteau délicieux. « Rien n’est plus facile que de s’en assurer », répliquera n’importe quel pâtissier. Depuis le temps lointain de mes expéditions en Antarctique où je rôtissais des pingouins pour assurer ma subsistance, je n’avais plus jamais cuisiné. Mais, par l’enfer, pensais-je à part moi l’autre jour, qu’on me munisse une fois seulement d’un moule de 26 cm de diamètre environ, et on verra ce qu’on verra ! Dans l’instant que je pensais cela, mes yeux tombèrent soudain sur un tel moule, posé comme par un fait exprès sur l’étagère du buffet !

SONY DSCCe moule a 26 cm de diamètre environ. Calculez la circonférence du moule. Combien peut-on poser de moules côte à côte sur une étagère de 35 m2 ?

 

Si vous avez bien lu, le grand principe du gâteau breton consiste à mélanger ce qu’on a sous la main dans un saladier et, si ce qu’on a sous la main est providentiellement composé de sucre, de farine, d’œufs et de beurre en idéales proportions, le gâteau est réussi. Par un effort de réflexion que je ne m’explique encore pas très bien, j’eus l’idée de réunir les ingrédients sur la table – comme s’ils s’y fussent trouvés par hasard – afin de mettre toutes les chances de mon côté. Après quoi, rien de plus simple. Quand on a plumé des pingouins dans le Grand Nord, on ne craint pas de mélanger des œufs, du beurre, de la farine et du sucre.

SONY DSCGâteau avant fusion

 

C’est de mes mains burinées par les intempéries, auxquelles il ne me reste plus que trois doigts valides, un à droite, deux à gauche (le couvercle du piano a sectionné les autres en se refermant brutalement sur eux un jour que j’interprétais la rhapsodie hongroise devant un parterre composé de grands de ce monde) que je m’appliquais donc à – comme il est dit dans le manuscrit – mélanger, émietter, travailler, reconstituer en boule. Sur ce dernier point, j’ai quelques réserves, le concept de boule unique évoqué dans la recette me parait devoir s’incarner dans la vie réelle en plusieurs masses collantes qu’on ne parvient à étaler qu’à force de les secouer vigoureusement au-dessus du plat pour qu’elles se détachent des mains – le point commun, à ce stade, entre la pâte et du sparadrap ne doit cependant pas trop vous inquiéter si vous tentez l’expérience. Voyez plutôt le résultat :

SONY DSCLa pâte est domestiquée dans son moule. Elle ne peut plus vous coller aux doigts.

 

C’était l’heure de consulter la suite du programme :

gbrecettesuiteRecette du gâteau breton, suite et fin
H Eléouet, collection particulière

 

En le suivant consciencieusement, on arrive à la fin de l’histoire sans trop se fatiguer :

SONY DSCLe dénouement est proche.

 

SONY DSCCe gâteau est cuit.

 

SONY DSCTon compte est bon, mon gaillard !

 

« Miam ! » suis-je tenté de résumer. On peut ajouter de la strychnine afin d’empoisonner sa grand-tante Adélaïde, ou bien une lime pour que son cousin Bob s’évade de prison. Mais la merveilleuse particularité du gâteau breton réside dans sa faculté d’être conservé très longtemps, ainsi qu’il est ici mentionné d’une plume hésitante :

gbsegarde

 

La légende murmure qu’après quelques semaines, il est meilleur. C’est une légende. La Villemarqué la mentionne quelque part. Mais personne n’a jamais vérifié. En 1852 – nous sommes en plein romantisme, un jeune poète exalté décida de tenter l’expérience. Voici un extrait de son journal intime :

Mardi 5 juin 1852
Mon mal de vivre continue. Comprenez-vous que j’aspire à l’infini ? J’ai décidé d’attendre un mois avant de manger le gâteau breton que je viens de cuire. On verra bien si la recette dit vrai.

Mercredi 6 juin 1852
Je n’en peux plus. J’ai déjà mangé la moitié du gâteau en m’inventant des excuses.

Jeudi 7 juin 1852
Je suis faible. Il ne me reste plus qu’à me jeter du haut de la falaise.

(Le journal s’arrête là).
Pour terminer, je suis en mesure de donner quelques conseils aux personnes qui seraient tentées par l’aventure :
– Ne prenez pas de photographies pendant que vous préparez le gâteau sans vous être lavé les mains au préalable, surtout si l’appareil n’est plus sous garantie.
– N’essayez pas non plus de pratiquer l’aquarelle ou la gymnastique rythmique et sportive. Chaque chose en son temps !
– Essayez un peu de manger des crêpes à la confiture en mélangeant la pâte, pour voir. Vous ne ferez pas les malins très longtemps.

 

La semaine prochaine, Histoire de France par Mme L. de Saint-Ouen, Librairie de L. Hachette et Cie, 1860.

Ce contenu a été publié dans Critiques littéraires. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.