Lettre 26 Camille à Gaspard

Camille de Riveblême à Gaspard Bromzières

Cher Gaspard,

Ce que vous m’avez écrit me plonge dans la plus extrême confusion. Je doute qu’Antanea songe à vous proposer le mariage. Ce serait pourtant la moindre des choses. Dans ces conditions, vous avez raison d’essayer de vous enfuir. J’ignore le moyen que vous trouverez pour y parvenir, mais je vous souhaite le succès, désespérant toutefois de n’être en mesure de vous donner un conseil judicieux.

S’il m’est arrivé quelque chose de semblable, c’est lorsque Adeline Bréviaire de la F. m’invitait à prendre le thé à 18h30. Nous avions alors, vous vous en souvenez, rompu nos fiançailles. Il m’était insupportable de penser que j’allais, pendant le reste de mon existence, boire le thé à une heure indécente. Et puis, au fond de moi, germait déjà l’envie d’un grand voyage où l’on troque plutôt le thé de cinq heures contre une aventure vraiment extraordinaire. Mais je m’égare. Votre situation m’inquiète. Écrivez-moi, je vous prie, que vous êtes libre.

Je vous avoue que j’en ai eu assez de cette pyramide suspendue. Les ouvriers avaient atteint le septième rang – à partir du haut – hissant d’immenses blocs de pierre afin de soutenir ceux du sixième rang, quand, tout à coup, je fus pris d’une sorte de dégoût d’ordre métaphysique. Si ces étranges pyramides représentent, pour ceux qui les conçoivent, une forme d’accomplissement et sont le témoignage de ce qu’ils accèdent, après nombre de vies terrestres, à une dimension supérieure, je ne peux m’empêcher de les comprendre, finalement, comme celles qui se dressent dans d’autres pays : ce sont bel et bien des tombeaux.

J’ai regagné la côte, retrouvé mon équipage. Nous cinglons vers d’autres rivages. Il me plaît beaucoup mieux de regarder des nuages qui s’amoncellent qu’une construction qui tient toute seule dans les cieux. L’un d’eux avait justement, tout à l’heure, la forme d’Adeline Bréviaire. C’est curieux. Je n’aurais jamais imaginé qu’on puisse la comparer à un cumulonimbus.

Quoi que ce soit qu’il vous advienne, ne m’écrivez pas que vous n’êtes plus de ce monde (je ne vois pas, d’ailleurs, comment vous feriez) : j’en éprouverais de la tristesse au plus haut point.
Camille.