Le moucheron

J’étais à mon bureau. Je composais des vers
En poète appliqué, sur des sujets divers.
Minuit sonna bientôt à l’ancienne pendule.
Ce que j’avais écrit me sembla ridicule.
On entendait dehors la tempête mugir
Et je demeurai là, pensif, sans réagir,
Accablé tout à coup d’une étrange mollesse,
J’avais le cœur éteint et je me disais : “Laisse,
Il n’est plus temps de croire aux éblouissements,
À la muse taquine, à l’âme et ses tourments ;
C’est l’heure de dormir – demain le jour se lève,
La nuit tait ses secrets toujours au bon élève,
À quoi bon s’obstiner ? L’art est un puits sans fond.”

Je regardai le ciel et je vis le plafond.
Une grosse araignée y tissait une toile.
“C’est là, me dis-je encor, ce qui me sert d’étoile”.

Je cherchai quelque temps vainement le repos,
L’ouragan s’abattait contre les volets clos.
Lorsqu’enfin je tombai dans les bras de Morphée
Un songe me saisit. Je vis une araignée
Patiente, immobile au centre d’un réseau.
C’était moi. J’agitais mon horrible museau,
Écoutant par le biais de mes deux chélicères
S’il venait en mes rets se prendre des diptères.

Soudain la toile vibre. On entend tout à coup
D’un petit moucheron le bourdonnement fou.
Je me hâte, je cours et je file à ma proie
Que j’enferme vivante en un cocon de soie.
Puis, sans me soucier de ses cris de frayeur
J’en aspire l’élytre et dévore le cœur.

J’étais en peu de temps une chose repue,
Sans regrets, sans remords – c’est pour vivre qu’on tue.
Je me sentais en paix, somnolent et joyeux
Comme après un festin… Alors, j’ouvris les yeux.
Un rayon d’or filtrait au coin de la fenêtre,
On sentait que le jour venait juste de naître.
Je sautai de mon lit et j’ouvris les volets.
Le ciel était serein et des oiseaux chantaient.
On respirait l’odeur exquise du parterre.
Une grande allégresse envahissait la Terre.
Le chat me regardait d’un petit air badin.

J’écrivis ce poème et sortit au jardin.

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