« Tiens ! » murmurais-je l’autre jour en marchant sur un sentier boueux, « Voilà bien longtemps que je n’ai prodigué à un public ébahi ces fameuses critiques littéraires qui, ressuscitant d’entre les morts d’impérissables ouvrages, ont rappelé à l’humanité ce qu’elle devait aux grands auteurs. »
Nous vivons une époque angoissante, où l’on ne peut pas faire un pas sans être confronté malgré soi à de graves questions et je murmurais encore, tapant mes souliers contre la pierre de seuil en granit de mon humble masure afin d’en détacher les mottes gluantes : « Tiens ! Évoquons un écrivain qui a des solutions ».
Parmi les fauteuils confortables qui meublent mon intérieur, je choisis celui avec des pompons roses, que je traînais devant l’âtre avant de m’y laisser choir. Entre mes mains aux ongles manucurés par les travaux paysans, je tournais et retournais le livre fameux dont trop peu hélas ont entendu parler :

Je devine l’interrogation qui pointe derrière les yeux du lecteur à la vue de cette couverture : quel était le prénom de Tétrel ? On ne peut pas s’empêcher de se demander le prénom de l’auteur quand on ne dispose que de la première lettre. Qui se cache derrière le T. dans T. Durand, le mystérieux auteur de ce bouquin dont le titre m’échappe ? Théophile ? Théodore ? Tugdual ? C’est quelquefois très important. N’oublions pas que Valentin Hugo et Anatole Musset n’ont pas hésité à tirer parti de cette habitude de ne conserver que la première lettre du prénom sur la couverture pour vendre beaucoup d’exemplaires de leurs ouvrages respectifs. Dans le cas présent, je donne la réponse et les moins érudits d’entre vous pourront briller dans les grandes occasions : Tétrel s’appelait Alfred.
La présente édition date de 1941, et, précise l’auteur, elle a été remise complètement à jour. Ce qui nous permet toutefois de constater qu’avant le passage à l’euro, tout était drôlement compliqué :

Pour ma part, je ne suis pas fâché d’une harmonisation, et tant pis si la baguette de pain coûte plus cher qu’à l’époque où le poncelet valait soit 100 kilogrammes par seconde, soit 981 Watts (le poncelet est une viennoiserie).
Ce livre est truffé de bons conseils et rappelle un peu Les Essais de Montaigne. On peut s’en faire un bréviaire, un précis de philosophie ou un manuel de développement personnel. L’auteur vous donne un tas de petits trucs qui vous facilitent l’existence. Par exemple :

L’ancienne différentielle ne valait pas un clou, et, personnellement, je suis bien content de m’en être débarrassé.
Le moraliste n’est jamais loin chez Tétrel. Il exprime ainsi l’idée selon laquelle, grosso modo, si les hommes et les femmes sont des gaz comprimés (on se demande bien pourquoi, mais il ne faut pas trop chercher à comprendre la psychologie des physiciens) le travail développé est égal au travail reçu ôté du travail fourni quand on se détend, ce qui, à mon avis, signifie qu’il est important de faire la sieste tous les jours.

On peut recommander Solutions de problèmes de thermodynamique à l’usage des candidats aux certificats de physique générale et de mécanique physique et expérimentale à l’école supérieure d’électricité, à l’agrégation et des ingénieurs à n’importe qui, dut la modestie de l’auteur en souffrir : c’était faire montre de trop d’humilité que de limiter l’enseignement de la thermodynamique à une seule catégorie de la population, qui plus est une catégorie de la population susceptible de prendre les recommandations de Tétrel un peu trop au pied de la lettre.
D’ailleurs, comme l’écrivit A. Einstein dans son fameux traité Comment je zieute l’univers : « La relativité n’est pas restreinte aux seuls physiciens, tout le monde en profite. »
Mais il s’agissait peut-être d’Alfred.