Depuis la chambre où je gis
je contemple ma bougie
Danse, flamme
comme souffle
un vent simple,
en pantoufles
Depuis la chambre où je gis
je contemple ma bougie
Danse, flamme
comme souffle
un vent simple,
en pantoufles
Il était une fois un pauvre bûcheron qui coupait du bois. Ce bûcheron avait une fille. Cette fille avait une sœur. Cette sœur avait une poule. Cette poule pondit un œuf. De l’œuf naquit un crocodile (c’est étrange, mais vous aurez compris que nous sommes en plein conte de fée, chut). Ce crocodile savait parler. Un jour, il fit ses adieux et partit à l’aventure. Il rencontra bientôt le fils du roi. Le fils du roi se demandait où trouver une pêche de longue vie, car ce fruit magique pouvait seul guérir sa mère malade. Le crocodile lui enseigna le moyen de cueillir la pêche. Il fallait se rendre dans le Pays du Sourire Eternel.
– Où se trouve le Pays du Sourire Eternel ? demanda le prince.
– Écoute, Bob, répondit le crocodile, va poser la question au haricot vert magique.
Le prince alla consulter le haricot vert magique.
– Ô haricot, peux-tu me dire comment je puis me rendre au Pays du Sourire Eternel ?
(A cet instant du conte, je m’aperçois qu’il n’est peut-être pas superflu de préciser que le haricot vert magique était muet.)
– Le haricot ne m’a rien dit, se lamenta le prince au crocodile, qu’il avait à nouveau rencontré dans un bar des environs.
– Telle est la leçon, répliqua le crocodile. S’il ne parle pas, c’est que tu dois te débrouiller par toi-même. Alors le prince reprit son baluchon et courut le monde à la recherche du Pays du Sourire Eternel. Il courut longtemps, longtemps, et à la fin il était complètement découragé.
Un jour, sur le bord du chemin, il aida une vieille femme à ramasser du petit bois pour se chauffer. Or, cette grand-mère n’était autre que le crocodile qui s’était déguisé.
– Pour ta récompense, dit-elle en cachant son museau du mieux qu’elle pouvait, je te dirai comment te rendre à l’endroit que tu cherches. Prend cette carte enchantée et suit les indications.
– Merci madame, répondit le prince.
La carte enchantée s’appelait Albert.
– Je m’appelle Albert.
– Enchanté. Moi c’est Hector.
Car, en vérité, le prince avait pour nom Hector.
– Enchantée moi aussi. C’est par là.
Hop ! Sur le vélin apparut en pointillé le tracé qui menait au pays du Sourire Éternel !
Ivre de joie, Hector se mit en marche en songeant que ce n’était pas trop tôt. Trois mois plus tard, ayant affronté des périls dont la relation ne ferait qu’allonger notre propos, trois mois plus tard il arrivait à destination.
Mais le Pays du Sourire Eternel n’est pas rigolo pour tout le monde. Auprès de celles et ceux qu’il interrogeait sur le moyen de se procurer une pêche de longue vie, le prince n’obtenait qu’un sourire et rien d’autre. Un jour, de désespoir, il se mit à pleurer.
– Ne pleure pas, dit une voix dans son dos, car tu viens de gagner ce que tu cherches depuis si longtemps.
Il se retourna. Devant lui se tenait une petite souris vêtue d’une cape et traînant un chariot rempli de vaisselle. Or, cette petite souris n’était autre que le crocodile.
– Regarde, dit-elle, ce que tes larmes ont produit.
Le prince baissa les yeux et vit qu’à l’endroit où ses pleurs avaient touché le sol venait de germer un arbrisseau. L’arbrisseau devint instantanément un arbre. Cet arbre était un pêcher. Sur ce pêcher crût une pêche.
– Tu as trouvé la pêche de longue vie. Dépêche-toi de la rapporter à ta mère car elle est en grand danger de mourir.
Le prince remercia la petite souris, rangea le fruit et se mit en route sans prendre le temps de boire un verre à l’auberge voisine. Il arriva juste à temps. On peut dire qu’il avait eu du mal !
*
– C’est complètement idiot, ce conte.
Je venais de raconter l’histoire du prince, du crocodile et de la pêche de longue vie à un parterre d’enfants émerveillés, dont la plupart étaient allés jouer au ballon, et une auditrice attentive fronçait le sourcil.
– Les contes ne sont jamais idiots ; ils ont un toujours une morale ou un sens caché. Ils sont très riches d’enseignement pour les petits enfants.
– Ah oui, et quelle est la morale de celui-ci ? demanda-t-elle avec cette sorte de logique implacable qu’ont les petites filles de dix ans.
– La morale de l’histoire est qu’il est important de suivre les indications du crocodile né de la poule quand on est un prince qui cherche une pêche de longue vie afin de secourir sa mère. On pourrait ajouter que le Pays du Sourire Eternel n’est pas rigolo pour tout le monde, et aussi que si le haricot magique ne parle pas, il ne faut pas en déduire qu’il n’a rien à dire. Un crocodile peut se cacher derrière une grand-mère ou une petite souris. Un arbre peut jaillir d’une simple larme. Enfin, on peut demander son chemin à n’importe quel type qui s’appelle Albert, on est toujours bien renseigné.
Mais elle était déjà partie avant que j’aie terminé. Les enfants sont particulièrement insensibles à la poésie cette année. Il est inutile de chercher le moindre rapport entre cette anecdote et Le Rire de Bergson. J’en suis encore au début du volume, à ce point de l’intrigue où le philosophe recommande de garder à l’esprit que le rire est le châtiment du comique. Je ne serais pas étonné, au train où vont les choses, que les larmes finissent par être la récompense du tragique et que la migraine soit la belle-sœur du lecteur.
Vendredi prochain : Le rire, de Bergson.
On a tous besoin d’aide-mémoire. J’utilise des post-it vierges pour me rappeler d’écrire des poèmes. C’est très efficace. Il ne se passe pas de jour sans que j’y griffonne un vers ou deux. C’est la raison pour laquelle je manque toujours le dentiste.
Because la lune avait des reflets d’or, Sven l’étrangleur se perdit dans sa contemplation.
– Que c’est joli, murmura-t-il.
Il serra machinalement le cou d’un dernier type et songea qu’on était bien peu de choses. Autour de lui les cadavres de ses ennemis jonchaient le sol. Sven ramassa du petit bois afin de se préparer une infusion.
La perspective d’une nuit à la belle étoile n’était pas pour lui déplaire. Il sirotait sa tasse, enveloppé dans son manteau de fourrure. Le feu crépitait. On entendait dans la forêt gémir les âmes des malheureux qu’il avait étranglé.
Il serra le cou d’un dernier type
Sven aimait son métier. Mais depuis quelque temps, ses articulations le faisaient souffrir. Il examina ses mains pendant quelques minutes. Hélas ! Il faudrait bientôt oublier cette vie d’aventures pour une retraite paisible à la campagne. Encore une ou deux années consacrées à conquérir un royaume ou étrangler des dragons, et tout serait fini. Il avait bien vécu. Son cousin Harald avait eu moins de chance. A cause d’une mauvaise orientation après le collège, il était devenu fermier. Harald-l’étrangleur-de-poulets. Sven sourit. Non, décidément, il n’était pas à plaindre. Si c’était à refaire, il ne changerait rien. Sauf peut-être…
L’étrangleur soupira. Fugitive, l’image de Vera venait de lui traverser l’esprit. Il avait aimé cette princesse. Amour payé de retour. Avant de se résoudre à l’étrangler, ils avaient connu trois semaines de bonheur intense. Mais il travaillait à l’époque pour Sigurd le ténébreux… Sven sentit ses yeux s’humecter. Il s’enveloppa davantage encore dans son manteau. La nuit était fraiche. L’existence difficile. Il s’étendit auprès du foyer, lissa sa moustache pour en extraire un pou, qu’il étrangla, puis ferma lentement les yeux.
« Un contrat est un contrat », aimait à répéter Sigurd le ténébreux
Un ronflement sonore ne tarda pas à retentir dans la clairière. Quelques animaux nocturnes, intrigués, s’arrêtèrent un instant pour examiner le dormeur. Une chouette le dévisagea de ses yeux ronds. Mais le spectacle manquait de variété. Elle aperçut un mulot et s’en désintéressa.
*
Les lecteurs les plus perspicaces auront noté que l’histoire merveilleuse développée ci-dessus n’a que peu de rapport avec la critique littéraire du Rire de Bergson, et, peut-être, qu’elle ne présente pas le moindre intérêt. Soit. Mais laissez-moi vous dire une chose : si vous pensez qu’il est possible de connaître le contenu d’un livre de philosophie uniquement en regardant sa couverture, vous vous mettez le doigt dans l’œil. Je le sais. Je l’ai vérifié à mes dépens cette semaine. Alors je suis déjà bien bon, contraint par le temps, de vous donner un aperçu bucolique de l’existence de Sven l’étrangleur quelque années avant la fin de sa carrière – illustré qui plus est – sans devoir en plus écouter ce genre de remarques. Sans blagues.
Vendredi prochain : Le rire, de Bergson.
Bande annonce (sépulcrale) des poétickets 2013 ! :
Au commencement, Dieu créa le ciel et la Terre, qu’il peupla de dinosaures. Quelque temps plus tard, je naquis dans une petite commune du Nord-Finistère. Il est important de bien situer les choses. Ma mère et mon père utilisaient Le rire, de Bergson, comme somnifère. Toute mon enfance, à table, mon père expliqua que, la veille au soir, il en avait lu toute une demi-page avant de piquer du nez et de sombrer dans le sommeil. Quelquefois, ajoutait-il, il en lisait une page à ma mère à voix haute afin qu’elle s’endorme.
Ça les faisait rire.
L’observation scientifique des parents par leurs enfants détermine en grande part les futures occupations des charmants bambins. Je ne serais probablement pas devenu cet éminent philosophe si je n’avais eu sous les yeux l’exemple frappant d’une étrange logique, dont – je le soupçonnais déjà – le comportement de l’humanité toute entière était l’illustration, pour qui savait décrypter ce genre de trucs.
Je fus donc anthropologue, philosophe, ethnologue, météorologue, et docte en bien d’autres matières, comme la philatélie par exemple. Les sujets d’étude ne manquaient pas pour un jeune homme épris de connaissance. Mes travaux sur la vie quotidienne à Brest en saison des pluies m’ont acquis une juste célébrité. Lors d’un colloque à la médiathèque municipale des Quatre Moulins, je révélais au public médusé l’existence d’un jour de beau temps dans le bas de la rue Anatole France, entre les numéros 12 et 49. En 1957.
La semaine passée, hantant les couloirs du manoir familial, je tombais brutalement sur Le rire, de Bergson, posé sur une table comme à mon attention, sans doute parce que j’avais dit à mon père que j’aimerais bien lire ce bouquin, après tout ce temps.
Diable, fis-je, n’est-il pas venu, le moment d’éclaircir les choses ? Lisons ce bouquin, on verra bien. Je pris ce bouquin, et me promis de le lire.
Je ne sais pas si vous avez déjà cassé des briques sur un ordinateur au moyen d’une petite balle rebondissante, mais c’est le genre de jeu vidéo dans lequel on progresse par paliers. J’ai senti dès lundi que je serais capable de dépasser le niveau 28 dans la semaine, à condition bien entendu d’y consacrer suffisamment d’art et d’énergie. Mercredi soir, c’était chose faite, et je suis heureux de dire que les niveaux 29 et 30 n’ont ensuite pas résisté bien longtemps.
A l’heure où je tape ces mots, je suis un homme heureux.
La semaine prochaine : Le rire, de Bergson.
Lassé des choses humaines, je tournais une à une, mollement étendu sur mon sofa, les pages d’un livre de Louis Barjon :
Bah, songeais-je, fatigué de tout, rien de vraiment neuf dans la collection « Nos beaux métiers par les textes ». Voici le troisième volume dont je rends compte. Le principe est toujours de former une anthologie de textes sur un métier donné. Les introductions en quelques lignes de l’auteur à chaque rubrique indiquent le thème de la rubrique en question :
Entrée en matière de la rubrique : Agonie en mer
J’ignore pour quelle raison je ne parvenais pas à m’enthousiasmer.
Le sort du marin n’est pourtant pas obligatoirement funeste. S’il survit, il peut devenir un soldat magnifique.
Au fond, c’est toujours la même chose. La page de garde nous apprend qu’après Le paysan, Le soldat et Le marin, un volume est à paraître, intitulé L’éducateur. Je ne possède pas ce livre, mais il n’est pas très compliqué d’imaginer que le chapitre traitant de la rentrée scolaire est introduit de la manière suivante :
Périlleuse au fond du bâtiment A
LA CLASSE DE SIXIEME C
n’épargne point le professeur débutant
J’ignore si Louis Barjon a, plus tard, évoqué Le fleuriste, mais si c’est le cas on trouve à coup sûr, en introduction à un extrait de Baudelaire ou d’Hugo, quelque chose comme :
Ronde composition de lys et d’orchidées
LA COURONNE MORTUAIRE
Orne le cercueil de bois
Bah, bah, bah, resongeais-je trois fois derechef (ce qui fait six ou douze), il est temps de tourner la page de la collection « Nos beaux métiers par les textes ». Quand on est abattu par la mélancolie sur la toile sinistre d’un sofa (j’ai repeins mon sofa en noir), changer d’état d’esprit réclame qu’on cherche sans attendre un manuel à tâtons sur l’étagère de la philosophie.
La semaine prochaine : Le rire, de Bergson.