À l’occasion de la batteule de poésie du festival Moi les mots à Landivisiau, Clotilde de Brito m’avait lancé le défi de réécrire La Mouette de Tchekhov en alexandrins.
Prochaine batteule : mardi 3 décembre à 21 h au Mouton à 5 pattes à Brest, contre Arnaud le Gouëfflec, arbitrée par Anne Jullien, dans le cadre du Festival Intergalactique de l’Image Alternative.
Défi : Réécrire La mouette de Tchekhov en alexandrins.
La grande qualité de tout ce que je pense
Se mesure à l’ampleur du défi qu’on me lance,
Et si je dois peser ma science à son objet,
Il faut en convenir : j’impose le respect.
Considérant de moi ce que les gens supposent,
Je ne m’étonne plus de connaître des choses.
L’intérieur de ce crâne est assez bien rempli.
J’y trouverai Tchekhov en opérant un tri.
Cette Mouette de lui qu’on me dit de récrire,
Je ne soupçonnais pas que j’avais pu la lire ;
Que je puisse aussi bien me la remémorer
C’est l’effet du yaourt au petit-déjeuner.
Pour contenter l’humeur d’une muse exigeante,
Il faut par-dessus tout qu’un auteur s’alimente
Et la littérature est un lent processus
Où l’on néglige trop l’apport du bifidus.
Un régime lacté très sûrement entraîne
L’expression d’un corps sain dans une tête saine.
Le poète à plein temps, sportif de haut niveau,
Se doit à son public d’être un brillant cerveau,
Complétant le yaourt par un peu d’exercice
Afin que le miracle en ses vers s’accomplisse.
Créatif endurci grâce aux vertus du lait,
Souvent aux yeux du peuple un bon auteur paraît
L’égal d’un footballeur ou d’un joueur de bridge.
Shakespeare en Angleterre avalait son porridge
Et nul ne peut nier qu’il écrivait parfois
Sur un bout de papier Macbeth ou Richard III.
Pour qui sait assez bien goûter la crème anglaise,
Il ne se pouvait pas que son œuvre déplaise.
Je suis assez rompu dans l’art d’être mangeur
Pour me considérer, parmi la fine fleur
Des auteurs de ce temps, comme celui dont l’âge
Et la sagacité quand il prend un laitage
Ont fait le mieux à même, incontestablement,
D’évoquer un sujet sans le savoir vraiment.
C’est afin d’ajouter une corde à ma lyre
Que j’ouvre cette Mouette et que je vais la lire :
Il prend le livre.
Ce serait un peu fort qu’on me le reprochât
Quoique objectivement mon art m’en dispensât.
J’ai du temps devant moi. Commençons la lecture.
Le talent se pressent depuis la couverture,
Mais ce pressentiment ne suffit au lecteur
Car tout le sel d’un livre est dans son intérieur.
Voyons l’acte premier. Medvedenko s’exprime.
Et Macha lui répond. La réponse est sublime.
Tchekhov, par son génie, a su trouver les mots
Pour qu’immédiatement je suive le propos.
Sa pièce est admirable, il fallait que je l’eusse !
Quand on sait, de surcroît, qu’il s’exprimait en Russe !
Quel début… Quel début… Voyons le numéro
De la page où Tchekhov a baissé le rideau.
Il tourne les pages.
Je m’en doutais un peu. C’est un nombre à trois chiffres.
Certains inconséquents de théâtre s’empiffrent.
Je soutiens quant à moi qu’il est bon d’être lent,
Même si quelquefois je m’endors en lisant.
Comme une autre figure au dos de la médaille,
Ce n’est que le revers d’une attention sans faille.
Quel début… Jusqu’à présent, pas d’oiseau. On connaît
Que le grand écrivain ménage son sujet.
Inévitablement, les gens parlent en roubles
Sans que leurs vis-à-vis de ce mot-là se troublent ;
Ce que cela suppose et ce qu’on en déduit,
C’est que le traducteur n’avait pas tout traduit.
Pouvait-on dissocier la rouble de la pièce ?
S’il faut déterminer ma position… J’acquiesce.
De l’une à l’autre langue on doit tout convertir.
J’eusse rebaptisé « président » le roi Lear.
Avec mon bon cerveau qui fait que je raisonne,
En donnant de « La mouette » une version bretonne
J’obtiendrais du succès si j’étais bretonnant.
Sait-on ce que j’aurais écrit ?… « Ar gwelan ».
Ôtons ce que j’ai lu de ce qui reste encore…
Il compare la première page et l’épaisseur de toutes les autres.
Si je veux aller vite, il faut que je picore :
Ce serait un moyen pour atteindre le bout,
On peut être lecteur et pourtant kangourou.
Voilà la solution. Ce procédé conjugue
Le survol de « La mouette » et sa patiente étude.
Touchons dans l’acte II quelques mots par hasard.
L’action pour l’essentiel s’y passe un peu plus tard.
Voyons dans l’acte III. Un monsieur Trigorine,
Sous les habits duquel un acteur se devine,
Embrasse maintenant un certain médaillon
Qui semble être l’objet de la conversation.
Le théâtre est un lieu propre à ce qu’on discute,
Mais l’auteur se prononce et l’acteur exécute,
Répétant chaque soir un argument pareil.
Comment l’accepte-t-il et n’a-t-il pas sommeil ?
Ce métier si commun de jouer la comédie
Nous pose la question de la démocratie.
Je serais bien tenté de figurer cela
Et dans un acte en vers d’en faire le débat,
Mais si bien que je sache écrire une réplique
Et si bien qu’à la dire un comédien s’applique,
Il ne pourrait servir le fond de mon discours
Qu’à cette condition de le changer toujours.
Je ne veux pas qu’un autre écrive mon théâtre !
Assez philosophé. Passons à l’acte quatre.
Il s’agit du dernier. Voyons comme il conclut
Enfin le chapelet de tout ce que j’ai lu :
Quelqu’un meurt en coulisse à la fin du chapitre.
Ce qu’on ne sait pas bien, c’est le pourquoi du titre.
Le titre est important, mais il ne fait pas tout ;
S’il attire au spectacle, il n’en est pas le clou.
Se peut-il que ce titre eût valeur de prologue ?
J’ignorais que Tchekhov était ornithologue !
Passons donc sur cela. Je sens l’inspiration
Qui me vient réclamer toute mon attention.
Récrivons cette Mouette en exprimant son thème
Et, par le truchement d’un délicat poème
Que j’intitulerai : « Le joli mois de mai »,
Sublimons en deux vers ce que Tchekov disait.
« Le joli mois de mai
Le jour commence à l’aube et les soucis fleurissent.
À la fin du printemps, quelqu’un meurt en coulisses. »
C’est assez général et c’est assez concis :
Sais-je pas relever de semblables défis ?